C'est la prévisible conclusion à laquelle est arrivée l'historien cubain, Zoé Cremé Ramos, dans une étude qui vient d'être, à juste titre, réeditée à La Havane, sous le titre Pesquisaje sobre la Procedencia de los Esclavos en la Jurisdicción de Cuba entre 1792-1838.
L'auteur, chercheur au Centre Culturel Africain Fernando Ortiz à Santiago-de-Cuba est parvenu à ce résultat après un rigoureux croisement de données d'archives et, celles, puisées dans des travaux antérieurs.
Essai historique proposant plusieurs éléments nouveaux, scellé sous la forme d'une brochure d'une quarantaine de pages, d'impression, malheureusement, moyenne, conséquence des contraintes économiques en vigueur dans la grande île, cette recherche n'a permis d'inventorier, sur près d'un demi-siècle, pour la région de Santiago-de-Cuba, que, exactement, 7.236 esclaves, nés dans l'île ou venus des îles voisines de Haïti et de Jamaïque, ou encore arrivés directement des côtes africaines.
Cette faiblesse documentaire résulte, probablement de la détérioration de nombreuses pièces d'archives mais aussi de l'introduction dans la "Jurisdicción" de nombreux esclaves clandestins.
L'auteur se fonde donc sur cet échantillon pour classer, en une dizaine des tableaux, les appartenances ethno-linguistiques relevées, après un examen critique des deux de ses grands prédécesseurs, Fernando Ortiz et Romulo Lachatañeré.
Cette mise à jour reproduit naturellement, avec les désignations de la fin du XVIIIème siècle et de la première moitié du XIXème siècle, la configuration ethno-culturelle de l'Afrique occidentale, avec, notamment, les lucumies, les carabaliés, les ewe-tshi, mais aussi, et surtout, celle de l'Afrique centrale et australe, avec l'immense aire bantu.
Neo-Ethnonymes
L'on retrouve, pour cette seule zone, une trentaine d'éthnonymes, mais aussi, de toponymes, lieux d'embarquement des esclaves, devenus "étiquettes" ethniques. Et cela traduit très bien, l'extrême diversité lingusitique du continent et les conditions chaotiques de capture et de regroupememt des captifs sur le littoral.
L'on notera, dans cette restitution, pour l'ancien Kongo: congo, cacongo, mayombé, biringoyo, cabenda, loango, mumboma, musombo, musoso et muyaka.
L'intense trafic animé par l'esclavagiste Colonie d'Angola se confirme dans le récapitulatif de Ramos. Ainsi, l'on y remarque: loanda, quisiama, angola, mundongo et benguela.
Pour la côte-contre, autre implantation portugaise, l'on constatera l'apparition de mozambiques et makuas.
Devant la multitude d'origines enregistrées, les trafiquants et l'administration coloniale de Cuba se faciliteront la tâche par la création de néo-ethnoymes, bien imprécis, tels que "costa-firmes", "ceux de l'intérieur", expression qui désignait les esclaves venus des territoires jouxtant le Golfe de Guinée, et dont notamment, "El Gabon".
Estampillages
Pour l'historien de l'atlantique et portuaire Santiago-de-Cuba, le regroupement classificatoire de l'ensemble des appellations recueillies fait ressortir une nette prédominance bantu, près des ¾.
L'on se satisfera dans la tentative de concordances des estampillages ethniques faite par le chercheur caribéen, qu'il eut évité, dans la majorité des cas, les fâcheuses et glissantes homographies et homophonies.
Il reste, néanmoins, quelques zones d'ombre dans le rattachement exact de la provenance des communautés africaines ayant peuplé Santiago-de-Cuba et la propre île.
C'est ainsi que l'ethnonyme mongo, fréquent dans les archives de la principale ville de la région occidentale du territoire îlien, semble ne pas avoir de liens avec le groupe mongo de la Cuvette congolaise.
Altéré dans son passage au castillan, il paraît, au contraire, évoquer, tout simplement, les Ndongo, de la Colonie d'Angola, grande pourvoyeuse de main-d'œuvre esclave vers le Nouveau Monde.
Par ailleurs, l'historien du Centre Fernando Ortiz, a, dans d'autres cas, buté, comme c'était prévisible, sur des appellations non rattachées à des grands groupes, mais plutôt, à des lignages ou clans. C'est le cas des génériques ganga ou quisi, consignées comme "denominaciones étnicas".
Enfin, prudent, Ramos n'a pas osé interpréter "angunga", terme qui remonte, comme en Uruguay, au Kongo dia Ngunga, "la ville des cloches", la chrétienne Sao Salvador.
Il ne s'est pas aussi risqué à supposer derrière les "rey", l'esclavagisation d'un lignage royal africain à Cuba et les « suama », un groupe d'esclaves dont la capture avait été particulièrement laborieuse.
Il est évident que le potentiel de faits historiques contenus dans le précieux répertoire onomastique dressé par le chercheur du CCA, rend, plus que jamais, pertinentes les recommandations de la Première Conférence de l'Union Africaine sur les Intellectuels d'Afrique et de la Diaspora, portant, entre autres points importants, sur la nécessité des institutions du continent et celles de sa continuité outre-Atlantique, de mener conjointement des projets de recherche. Et, la reconstitution de Zoé Cremé Ramos en est un bon exemple.
Simao Souindoula
Historien
CICIBA (Centre International des Civilisations Bantu)
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