C'est, en substance, ce que l'on peut retenir de "Lenguas y Ritos del Palo Monte Mayombe. Dioses cubanos y sus fuentes africanas", ouvrage de l'inattendu duo d'anthropologues cubain et nord-américain, respectivement, Jesús Fuentes Guerra, attaché à l'Union Nationale des Ecrivains et Artistes Cubains à Cienfuegos, et Armin Schwegler, Professeur à l'Université de California, à Irvine.
Ce livre, véritable condensé encyclopédique sur cette question, vient de paraitre, concomitammemt, aux éditions Iberoamericana et Vervuert, basées, respectivement, á Madrid et Francfort.
S'étalant sur 258 pages, cette nouvelle revue des croyances et du subséquent parler résiduel venus du monde kongo, dont l'attachant prologue est signé par Stephan Palmié de l'Université de Chicago, s'articule, pour l'essentiel, en trois paliers á dominante, respectivement, linguistique, anthropologique et documentaire.
Les auteurs y présentent et analysent, dans une méthodologie minutieuse, La Regla de Palo Monte Mayombe, dans ses origines, son insertion dans les croyances afro-cubaines, ses composantes essentielles, ses caractéristiques et son extension géographique.
Les deux chercheurs, géniteurs d'autres travaux antérieurs tels que "Raices Bantu en la Regla de Palo Monte", "La nganga africana" et "Nzila ya mpika", pour Guerra et "Chi ma nkongo... ", pour Schwegler, y restituent, également, le profil des pratiquants et leur contexte socio-linguistique, la place, centrale, du "ganga" et du "enquisi" dans la pratique advinatoire et mediumnique "palera" et les relations de la divinité "Empungu" avec le monde des morts, "enfumbe" et la croyance dans le pouvoir téléologique des "bilongos" (fétiches).
Et, dans une courageuse approche linguistique, les deux africanistes, qui ont été obligés de publier en Europe, par la force de la persistance des sanctions américaines contre la rebelle ile caribéenne, tentent de fournir les attaches étymologiques des divinités mayombes, proposent une correspondance des saints catholiques avec leurs équivalents venus de la grande forêt d'Afrique centrale et une analyse de certaines expressions rituelles parmi lesquelles l'on retiendra "!Bititi ngo, fumbi yaya!".
L'on notera que, les auteurs ont fondé leurs certitudes linguistiques sur des dizaines de travaux, notamment, le séduisant "Vocabulario congo. El bantu que se habla en Cuba" de Lydia Cabrera et le "... Piti Bantu Criollo... " de Miguel Davila. Prudents, ils ont sollicité, en plus, les avis des experts congolais, Fu-Kiau Kia Bunseki et Jean Nsondé.
SUCCÉDANÉS
Les deux spécialistes ont tenu, aussi, á fournir, généreusement, dans plusieurs annexes, une revue photographique, un glossaire d'une centaine de mots du lexique palero et un indice de plus d'un millier et demi de références.
L'on retiendra, parmi la centaine de survivances lexicales kongo à caractère religieux, ayant survéçu dans la grande île, par la force culturelle des contingents étiquetés Basongo, Cabinda, Loango, Masinga, Mundamba et Musundi, munanso (autel), nkuyo (diable), ekangue (attacher), kimbisa ou kisimbi (esprit), nkita kia masa (esprit d'eau), nkita kianseke (esprit de la savane) et lombanfula (faire un voeu).
L'on y retrouve, avec beaucoup d'émotion, dans l'írrésistible dynamique syncrétique, enregistrée, notamment dans la région s'étendant, globalement, de Matanzas jusqu'au délà de Santa Clara, une vingtaine de succédanés kongo aux références chrétiennes. C'est ainsi que Pungu Lombua Fula, Nsasi, Pungu Mfutila et Sindaula sont assimilés á "Saint-François", "Saint-Lazare", "Saint-Sylvestre" et "Sainte-Barbara". A ce sujet, la marque très matrilinéaire des sociétés kongo a influencée ce panthéon ; les cubains originaires de l'ouest du Bassin du Congo, embarrassés, optant pour une dizaine d'appelations, variant selon les régions, se référant à la Vierge.
L'Immaculée est Mama Kalunga, Mama Kengue, Mama Umba ou Mbumba Mamba.
L'ouvrage de Guerra et Schwegler, synthèse clairvoyante des travaux les plus récents sur le continuum des traits des civilisations bantu dans l'ensemble insulaire caribéen, a le mérite de mettre en relief, une fois encore, la prévisible fusion des cultures africaines qui s'est faite dans la "gran plantacion", dés le début du XVI éme siécle.
La grande illustration de cette évolution a été l'intégration des éléments venus de la "Basse Guinée" dans les trois autres systèmes de croyances afro-cubaines, l'Arara, le Santería et l'Abakuá, dont le profil prédominant est yorouba et ewe-fon.
Cette expansion religieuse ne s'est pas seulement arretée aux cubains d'origine africaine, elle a aussi touché l'ensemble de la société de l'ile ; si bien qu'aujourd'hui, certains "paleros congos" sont blonds aux yeux bleus.